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Légende Clément Serveau
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Claude Fayette, le 05/11/2004

Un billet de banque c'est l'expression d'un artiste imprimée à des milliards d'exemplaires. Chacun d'entre nous possède et manipule quotidiennement un objet de consommation qui est cependant une oeuvre d'art. Clément SERVEAU est l'artiste qui a réalisé le plus d'études et de billets pour la Banque de France sans doute parmi les plus beaux.


20 F "Sciences et Travail" type 1939 (essai de 1922)

D'origine Champenoise, Clément SERVEAU naît à Paris le 29 Juin 1886. Il devient très vite un élève studieux et manifeste très tôt des dispositions et un goût évidents pour le dessin. Ses études terminées, il entre aux Arts Décoratifs où il devient l'élève de Raphaël COLIN et Luc Olivier MERSON lequel réalise dés 1906 des billets pour la Banque de France. Il conquiert très vite l'estime et l'admiration de ses professeurs en révélant une subtile technique de dessinateur et une science étonnante de graveur. Ces qualités seront par la suite très prisées et mises au service des administrations du monde entier. Il deviendra également un des plus grands graveurs de sa génération en travaillant activement à l'illustration de nombreux ouvrages pour des auteurs tels que COLETTE, DUHAMEL, GIRAUDOUX, MAURIAC, MAUROIS etc...

Parallèlement sa carrière de peintre et de coloriste se développe jusqu'à faire de lui la "coqueluche du tout-Paris". Chacun attend son tour selon les bonnes grâces du Maître pour faire peindre son portrait. C'est un peintre choyé, adoré, couronné par les salons que chacun veut avoir présent à ses réceptions. Il aime le monde et ses raffinements ainsi que les relations qu'il y cultive.


Huiles sur toile - Portraits (1929 et 1930)

Hommes de lettres et hommes d'état le chargent en 1931 de nombreuses lettres d'introduction auprès des autorités de Grèce où il projette d'aller passer quelques semaines de vacances. Mais une fois dans les chaudes collines de l'Olympe, il sent ce que CAMUS aurait appelé "un immense besoin de vérité" et éprouve une envie bouillonnante de renaître et de vivre libre hors de son frac officiel. Il jette au vent recommandations et titres de gloire, loge chez l'habitant et parcourt le pays des Dieux à la recherche de nouvelles sources d'inspiration.

Les toiles qu'il ramènera de Grèce révéleront ses talents de paysagiste et de coloriste et désormais il ne s'agira plus pour lui de peindre comme l'on doit mais de peindre selon sa propre vision. Il se libérera de son académisme afin de mieux repartir vers les cimes de la création picturale. Le technicien devient magicien et compose désormais des poèmes en couleurs. Dés 1934 il exposera dans tous les grands salons et galeries, en 1939 son triomphe sera confirmé lorsqu'il participe au deuxième Salon des Collectionneurs où sont réunies les oeuvres les plus représentatives de l'Art Moderne et de l'Art en général depuis DELACROIX jusqu'aux contemporains.

Durant la deuxième guerre mondiale il séjourne en zone libre à Villeneuve-sur-Lot à l'initiative de la Banque de France qui craignait alors qu'un de ses plus assidus et talentueux créateur ne tombe aux mains de l'ennemi. Il viendra en aide à bien des amis et des résistants pour lesquels il n'hésitera pas ainsi que son épouse à prendre de nombreux risques. Il déclarera modestement à son retour "j'ai fait de mon mieux."

La jubilation de peindre encore et toujours fera que le meilleur de lui même s'exprimera sans faille sur ses toiles dans des couleurs claires et joyeuses parfois même audacieuses. Il continuera à exposer aux côtés des plus grands comme CHAGALL, ROUAULT, VAN DONGEN, PICASSO, etc...

Malgré une maladie qui peu à peu le rendra invalide, il peindra sans cesse remettant toujours les valeurs établies en question jusqu'à déclarer à un de ses élèves "je crois avoir enfin compris de quelle façon doit se peindre un bouquet de fleurs". Dominé par la fureur de peindre bien et toujours mieux, il s'éteint à son domicile Parisien le 8 Juillet 1972.


Huile sur toile - Le Bonheur (1950)


L'Art au service du billet

Durant toute sa carrière de peintre et dés 1920 Clément SERVEAU a travaillé pour la Banque de France mais aussi pour les Banques du Liban, de Syrie, D'Uruguay, de Roumanie, de Serbie, de Pologne, de Madagascar etc......Les Postes de France et d'Amérique Latine lui commanderont également un bon nombre de gravures et de timbres. Le 5 Piastres de la Banque d'Indochine circulera dés 1926 en Polynésie, à Djibouti et en Asie du Sud-Est. Les Antilles, la Réunion et la Guyane auront à partir de 1933 leurs billets dessinés par Clément SERVEAU.

Jusqu'en 1958 il créera pour la Banque de France les billets Français parmi les plus réussis et les plus marquants. Le 5 Francs "Berger", le 20 Francs "Sciences et travail", le 50 Francs "Cérès", le "300 Francs", le 500 Francs "Victor Hugo", le 1000 Francs "Minerve et Hercule", le 1000 Francs "Richelieu", le 5000 Francs "Empire Français", le 10.000 Francs "Bonaparte". Certains de ses billets seront de plus "surchargés" et "libellés en NF".



Dessin - Etudes pour le 50 F Cérès type 1933


Gouache - Etude pour le 5000 F "Empire français" type 1942


Gouache - Etude pour le 1000 F "Minerve et Hercule" type 1945 (détail verso)


Maquette du 100 F "Jeune Paysan" (non adopté)


J'ai eu la chance et le grand privilège de connaître cet homme de grande humanité et de grande culture vers la fin des années 60. Ma principale activité professionnelle se développait alors dans le monde des Arts et plus particulièrement de la peinture moderne que j'exposais régulièrement dans ma galerie parisienne. Le billet de Banque était ma "passion secrète" et il est aisé de comprendre que la rencontre avec un artiste qui "habitait" mes deux centres d'intérêt avec autant de présence ne pouvait qu'influencer très fortement la suite de ma vie.

"Clem", car c'est ainsi que l'appelaient ses intimes m'a raconté beaucoup d'anecdotes, de tranches de vie sur tel ou tel événement se rapportant à la création d'un billet comme son approbation par la Banque ou son rejet. Son talent de créateur devait toujours être en parfaite adéquation avec l'exigence de la Banque de France. L'histoire du 20 francs "Sciences et travail" sur lequel Clément SERVEAU avait initialement placé l'homme de Sciences devant l'ouvrier racontée par l'homme qui avait tracé toutes ces lignes et placé ces couleurs avait une dimension toute familière. De façon rétrospective je vivais la création de ce billet. A regrets exprimés, il avait changé son dessin et placé l'ouvrier au premier plan, le message était autre et il en était un peu contrarié. Mais il se devait toujours bien évidemment de respecter la commande qui lui était passée. Une oeuvre d'Art certes, mais sous certaines contraintes infaillibles. Elles n'étaient d'ailleurs pas toutes d'ordre esthétique ou philosophique mais essentiellement toujours axées sur la difficulté à reproduire frauduleusement. Il était très paradoxal de voir combien cet artiste épris de liberté à tout prix se conformait par respect et amour de son métier à toutes ces exigences légitimes.

J'ai acquis l'atelier complet des oeuvres restantes de Clément SERVEAU, tableaux, dessins, gravures que j'ai exposé par la suite un peu partout en France et à l'étranger. Et puis surtout pour ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, j'ai vécu un moment rare et intense pour un collectionneur. Lors d'une de mes visites à sa résidence de campagne aux environs de Paris, dans son atelier, au fond d'un ravissant jardin sauvage, j'ai ouvert une armoire qui contenait toute sa vie de graveur et de créateur de timbres et de billets. C'était fascinant!

Des études, des maquettes de billets, des essais, des spécimens, des billets dont certains inédits et surtout une importante documentation hétéroclite que j'ai mis des années à compulser, classer et comprendre. A cette époque le "Billet" n'était pas ce qu'il est aujourd'hui, les collectionneurs se comptaient sur les doigts des deux mains et fort heureusement j'ai pu préserver ce patrimoine culturel. C'était une partie de sa vie à laquelle il tenait beaucoup et cette "transmission" m'a peu à peu conduit à m'éloigner du tableau pour ne vivre plus que pour les Billets de la Banque de France. Je passais alors quelque peu pour un original, pour beaucoup il ne s'agissait que de simples morceaux de papier.


Dessin - Etude du 500 F "Victor Hugo" type 1953


Dessin - Etude du 1000 F Richelieu type 1953


Dessin - Etude du 10.000 F Bonaparte type 1955

Ils sont la base des études qui ont permis de réaliser mes ouvrages. Sans cette découverte et bien évidemment des années de recherches et de travail, je crois que la collection du papier monnaie français n'aurait pas eu toute cette matière qui en constitue aujourd'hui la trame. Il est certes facile de prendre ça et là quelques informations allant même jusqu'à se les approprier, et sans doute certains se reconnaîtront, mais les sources d'un travail et d'une recherche prennent naissance quelque part et il faut toujours par honnêteté et conscience citer la généalogie de son savoir.

Clément SERVEAU est toujours présent dans mon esprit, notre collection lui doit beaucoup et au-delà même des billets il a rendu familiers des grands hommes de notre histoire. Qui peut aisément aujourd'hui reconnaître sans difficultés STENDHAL ou DIDEROT? En revanche Victor HUGO ou BONAPARTE ont partagé notre quotidien durant des années.

Les collectionneurs regardent ces billets avec des yeux avertis, les néophytes y retrouvent avec joie et émotion une partie de leur vie toute en couleurs.

Merci Clément SERVEAU pour toutes ces années de création et de talent. Notre histoire est marquée par votre oeuvre, sans le savoir vraiment au travers de vos billets vous avez sans doute été l'artiste le plus édité au monde.

Article paru dans la revue Numismatique & Change de juin 2000.

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