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Un billet pour Monsieur de Voltaire
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Pascal Grèze, le 05/06/2005

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Tout le monde connaît le billet de 10 francs à l’effigie de Voltaire, oeuvre du peintre Jean Lefeuvre, qui est devenu un grand classique de la collection. Il existe pourtant une autre version de ce billet, du même artiste. Par leur composition, le choix des personnages et des bâtiments, les billets nous racontent une histoire…

Paris, le 1er mai 1726. La lourde porte de la prison de la Bastille s’ouvre enfin. Un homme en sort, qui regarde une dernière fois la vieille forteresse. Tout en s’éloignant, il se promet à lui-même de ne plus jamais y revenir (c’est son deuxième séjour) et qu’il verra tomber, un jour, les murs de la terrible prison. Cet homme victime de l’arbitraire royal et qui rêve de justice, c’est Voltaire !

Né à Paris le 21 novembre 1694, François Marie Arouet, est le fils d’un notaire. Après des études au collège Louis-le-Grand, sa famille veut faire de lui un avocat, alors que lui ne songe qu’à la littérature! Il fréquente alors les salons parisiens, devient vite célèbre… et un danger pour l’ordre établi. Indésirable en France, il est exilé en Angleterre, de 1726 à 1728, et découvre une société intellectuelle plus tolérante qu’en France. Il en profite pour investir dans le commerce et la finance où il gagne beaucoup d’argent. Il rentre alors à Paris, où il poursuit son oeuvre littéraire, tout en développant ses affaires…

En 1734, la publication prématurée des Lettres Philosophiques, dans lesquelles il critique les institutions françaises, lui font quitter Paris précipitamment… Menacé d’emprisonnement par une lettre de cachet, il se réfugie au château de Cirey, propriété de son amie, Émilie du Châtelet. Séduit par les lieux, il agrandit le château (la galerie de gauche a été construite par Voltaire) et en fait sa résidence principale, bientôt rejoint par la marquise. Le château de Cirey étant situé à proximité de la Lorraine, alors indépendante, il pouvait en cas de nécessité franchir la frontière pour s’y réfugier. En 1746, c’est la consécration. Malgré l’interdiction d’une partie de son oeuvre, il est anobli (1) par Louis XV et entre à l’Académie française.


Château de Cirey vers 1854 (© Cabinet des Estampes, Bibliothèque Nationale), photo après 1900.

Un tel homme méritait bien de figurer sur un billet de banque! A la fin des années 1950, la Banque de France commande à plusieurs artistes la réalisation de nouvelles coupures, qui seront mises en circulation après l’introduction du nouveau franc. La création d’un billet à l’effigie de Voltaire est confiée au peintre Jean Lefeuvre (1882-1975). Cet artiste, Grand Prix de Rome en 1908, cumule les honneurs, obtenant notamment une médaille d’or au salon des artistes français de 1914, ainsi que celle d’argent à l’exposition internationale de 1937. Ce peintre de paysage, aquarelliste, est l’auteur de plusieurs billets français (2). Il représente au verso, le château de Cirey-sur-Blaise (Haute-Marne), d’après une lithographie d’Isidore Deroy (3) qui reproduit un dessin de François Ricois (4), conservé au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale. C’est cette lithographie que le peintre Lefeuvre reproduira fidèlement sur le billet de banque. Sur le billet, le château, l’emplacement des arbres, de la clôture et de bien d’autres détails, sont identiques à la lithographie, réalisée vers 1854. C’est une des rares représentations connues du château de Cirey, exécutée un siècle après le passage de Voltaire. Elle ne laisse aucun doute sur la méthode de travail de l’artiste, qui utilisait surtout des documents historiques. D’ailleurs le propriétaire du château (5) n’a jamais rencontré le peintre Lefeuvre, qui avait sans doute à coeur de représenter les bâtiments dans leur état de l’époque. Il existe cependant des esquisses préparatoires de la main de Lefeuvre, au crayon sur papier calque.


10 F Voltaire, verso du billet adopté

En 1749, la marquise décède brusquement. Voltaire fou de chagrin doit quitter Cirey. Il trouve refuge à Berlin, à la cour du roi de Prusse Frédéric II. Le despote le plus éclairé d’Europe le reçoit à Postdam, au château de Sans-Souci. Cette relation tumultueuse n’ira pas sans soucis, et en 1753 Voltaire décide de partir, contre la volonté du monarque… qui lors du voyage de retour le fera enfermer pendant tout un mois dans une auberge, par les sbires de sa police secrète ! Marqué par cette affaire,Voltaire, qui ne peut retourner à Paris – le roi Louis XV le lui a interdit – cherche un refuge.

Il le trouvera en Suisse près de Genève, puis en France à Ferney, dans le pays de Gex, à seulement 1 km de la frontière suisse. On ne sait jamais… Il achète la seigneurie, le château et les terres, et devient comte ! Pour la première fois de sa vie,Voltaire est enfin chez lui !

Pendant vingt ans, de 1758 à 1778, le Prince de l’esprit recevra à Ferney toute l’Europe, écrira des chef-d’oeuvres comme Candide ou défendra les victimes de l’injustice et de l’intolérance: Calas, Sirven ou Lally-Tollendal. Le peintre Lefeuvre en était bien conscient, puisque son projet initial représentait le Château de Ferney (6).

Château de Ferney
dessin de Lefeuvre, photo vers 1950



L’artiste réalisa plusieurs maquettes, dont celle d’un billet de 10 000 francs, daté du 25.09.1957. Il représente Voltaire avec un carrosse au recto, symbole de ses nombreux voyages et le château de Ferney au verso. En bas d’une des aquarelles qui comporte des outils de jardinage, on peut lire de la main du peintre « Cultivons notre jardin. (Candide)».





Projet initial du 10000 F Voltaire avec carosse

Des épreuves du billet avec Voltaire et le château de Ferney furent imprimées. Au verso, l’artiste nous présente dans un élégant cadre rouge et or, Voltaire écrivant une plume à la main, avec en perspective le château et le parc. La position du personnage et des bâtiments est assez proche de la version définitive. Cependant, on peut distinguer des différences dans le choix des couleurs (Voltaire porte un habit bleu), qui sont plus vives et moins fondues que dans la version définitive. De même, on ne distingue que la main droite de Voltaire, alors qu’il tient un papier de la main gauche dans la version adoptée. A noter qu’une voiture à cheval, toute prête, attend le voyageur ! Cette magnifique épreuve ne sera finalement pas retenue par la banque. Inédite pour de nombreux collectionneurs, elle doit dater, au maximum, du début des années 1960. En effet, elle comporte encore le texte du code Pénal avec la mention « travaux forcé à perpétuité », alors que l’ordonnance du 4 juin 1960, l’avait remplacée par la « réclusion criminelle à perpétuité ».


Voltaire et le château de Ferney (épreuve)

Lefeuvre qui avait étudié plusieurs portraits (7) de Voltaire, le représente finalement, d’après une gravure de Vivant Denon (8). Or, cette gravure à une histoire… En août 1776, Vivant Denon, de passage chez Voltaire, demande au philosophe de lui donner un de ses portraits. Voltaire, qui a 82 ans, refuse sous le soi-disant prétexte « qu’il n’avait pas de portrait ! ». Dépité, Denon quitte Ferney, sur un refus qu’il décide de combler. En effet, quelques mois plus tard, le philosophe reçut une gravure à son effigie, oeuvre de Vivant Denon. « C’était Voltaire, en pire ! » Une véritable caricature, selon Voltaire, qui écrivit à l’artiste, lui demandant de corriger son oeuvre. En vain… puisqu’elle sera répandue à l’époque dans tout Paris, à la grande fureur du modèle ! Deux siècles plus tard, c’est ce portrait controversé qui sera repris par Lefeuvre et imprimé par la Banque de France à près de 2,5 milliards d’exemplaires et diffusé dans toute la France ! Cependant, quoi qu’on en dise, cette oeuvre était sans doute plus ressemblante que ne le disait Voltaire, qui de toute façon n’aimait aucun de ses portraits. Celui réalisé à Cirey, en 1735, par Quentin de la Tour, bien que magnifique, ne fut pas retenu, alors qu’on l’utilisa durant tout le XVIIIe siècle pour illustrer les ouvrages du philosophe. Il nous aurait montré un Voltaire, encore jeune, tel qu’il était lorsqu’il habitait Cirey. Quant au filigrane, il représente Voltaire avec le bandeau des philosophes, selon la célèbre sculpture réalisée en 1781, par Jean-Antoine Houdon (9).

La mort du roi Louis XV en 1774 lui permet de revenir à Paris. Le 10 février 1778, après vingt-huit années d’exil, il fait son entrée dans la capitale, bravant une nouvelle fois, par sa seule présence, les autorités politiques et religieuses. Il loge dans l’hôtel particulier de son ami le marquis de Villette, situé sur les bords de Seine (aujourd’hui 27, quai Voltaire), en face du Louvre et des Tuileries.


Hôtel de Villette
(Paris-Monuments, éditions Minervois, Genève)

Acclamé par une foule enthousiaste, Voltaire reçoit le Tout-Paris et connaîtra plusieurs fois son heure de gloire (10). Mais, fatigué par tant d’honneurs, le philosophe tombe malade et meurt le 30 mai 1778. Le peintre Lefeuvre, d’une manière adroite et fort originale, ne nous présente pas l’hôtel du marquis de Villette, mais inverse la perspective en nous montrant la vue (11) qu’avait Voltaire depuis son appartement. La perspective s’ouvre sur les quais de la Seine, le pavillon de Flore, ainsi que le palais des Tuileries, selon un tableau peint en 1757, par Nicolas Raguenet (12) et conservé au musée Carnavalet. Gravé par Armanelli et Poilliot avec une taille-douce de Piel, l’ensemble en fait un des plus beaux billets de banque français.

Le 11 juillet 1791, le corps de Voltaire est transféré au Panthéon. La veille au soir, on plaça son cercueil dans les ruines encore fumantes de la Bastille, où le philosophe avait autrefois séjourné. Inhumé solennellement par les révolutionnaires, Voltaire trouva enfin sa dernière demeure. Cependant, lorsqu’en 1864, on ouvrit le tombeau , on le trouva vide (13)! Voltaire avait encore déménagé, pour se retrouver, un siècle plus tard… sur un billet de banque !

10 F Voltaire
recto du billet adopté
Le palais des Tuileries vu du quai d'Orsay, 1757,
Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet
© Photothèque des musées de la Ville de Paris, Musée Carnavalet. Cliché Abdourahim

Esquisses de Lefeuvre
des portraits de Denon, De la Tour et Houdon

Pascal Grèze

Article paru dans la revue Numismatique & Change N°360 de mai 2005.

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