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Légende Bojarski: les tribulations du Cézanne de la fausse monnaie
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Claude Fayette, le 01/11/2004

Plus de trente cinq ans passés, le nom de Bojarski est de plus en plus connu dans le monde des collectionneurs qui recherchent avec avidité des billets apocryphes réalisés par cet atypique faussaire de génie. J'ai personnellement décrit certaines péripéties de cette affaire dans les dossiers de la monnaie n°10 de 1994, ainsi que dans le dernier ouvrage sur "les billets français du XXème siècle".
Le cas très exceptionnel de cette aventure sur la fausse monnaie et l'engouement des collectionneurs pour ces rares coupures contrefaites, nous force aujourd'hui à apporter encore plus de détails sur cette affaire on ne peut plus passionnante.
L'histoire commence en janvier 1951, la Banque de France signale alors l'apparition de faux billets de 1000 Francs "bleus" Type 1945, en divers points du territoire français et en particulier dans la région parisienne. Quelques années plus tard en 1958, alors que ces faux ont presque disparu, apparaît une remarquable contrefaçon du billet de 5000 Francs "terre et mer". Ces deux fabrications présentent des similitudes évidentes dans la qualité et les défauts de leur réalisation et le fait de ne les rencontrer que de façon disséminée ne laisse pas de doute sur leur même origine. Les investigations commencées en 1951 n'aboutiront qu'en 1964, avec la falsification de loin la plus célèbre qui nous intéresse plus particulièrement, celle des faux 100 Nouveaux Francs Bonaparte Type 1959, elles permirent de prouver que ces trois contrefaçons avaient un même auteur.


Faux 100 NF Bonaparte réalisé par Bojarski


Jusqu'alors les faux billets découverts étaient toujours isolés dans une liasse, jusqu'au jour ou une liasse entière de 10 faux billets de 100 NF "Bonaparte" fut enfin trouvée, erreur fatale du faux-monnayeur qui devait conduire à l'aboutissement de plus de 10 ans d'efforts. En effet par chance, cette liasse de coupures apocryphes avait été remise à l'administration des PTT pour l'achat de bons du Trésor, administration qui a pour habitude de mettre des tampons partout, et pas uniquement sur les timbres. L'envoi à la Banque de France contenant cette fameuse liasse portait ainsi sur un cachet la marque d'un bureau de poste de la rue Turgo, dans le XVII arrondissement de Paris. Une patiente filature est alors organisé en parfaite collaboration avec le personnel des postes jusqu'à l'interpellation d'un premier suspect moins d'un mois plus tard.
Tous les employés des bureaux de poste du 17 ème, 16 ème, 9 ème arrondissements ou des diverses banlieues limitrophes susceptibles de fournir des renseignements sont entendus et mis au courant des dispositions à prendre dans le cas ou un éventuel acheteur de bons du Trésor suspect précédemment remarqué dans le bureau concerné, décrit comme un jeune homme d'une trentaine d'année, 1m75, cheveux clairs, se présenterait à nouveau.
L'élément déterminant se produit le 10 Décembre 1963. L'individu suspect se présente à un guichet du même bureau du XVII arrondissement. L'employé suivant les consignes conseillées, met au courant un de ses collègues qui note le numéro de la voiture, une caravelle Renault. Immédiatement alertés les services de police examinent la liasse ayant servi à acheter des bons du Trésor, elle est entièrement composée de faux billets de 100 NF. De rapides vérifications au service des cartes grises révèlent que la voiture appartient à un dénommé Alexis Chouvaloff, d'origine russe, domicilié à Clichy. Au fil de l' enquête il s'avère que Chouvaloff fréquente de façon assidue son beau-frère Antoine Dowgierd, d'origine Polonaise, et peu à peu les enquêteurs seront convaincus de la complicité de ce dernier. Ils sont tous deux interpellés le 17 Janvier 1964 en fin de matinée, en possession de faux billets et de bons du Trésor portant des numéros correspondants à ceux achetés avec les faux billets de la fameuse liasse.
Les aveux recueillis permettent d'apprendre que les faux billets étaient vendus à Dowgrierd par son vieil ami et compatriote Ceslaw Bojarski.
La villa de Bojarski rapidement localisée est située à Montgeron en Seine et Oise. Les policiers mis en garde contre une éventuelle violente riposte du faussaire encerclent la maison et aussitôt leur homme dehors, ils le ceinturent et le menottent sous les yeux ébahis de sa femme et de ses deux enfants. Les voisins stupéfaits ne comprennent pas ce qui peut arriver à un homme à l'apparence aussi tranquille et respectable. La perquisition entreprise dure plusieurs heures sous le regard réprobateur de Bojarski, et malgré une fouille rapide qui permet de trouver quelques faux billets sur lui, ce dernier continue à clamer son innocence et son indignation.
Après avoir refusé catégoriquement d'ouvrir son coffre fort situé dans le salon au rez-de-chaussée de la villa, l'arrivée d'un spécialiste de la police devant percer celui-ci, Bojarski se décide à l'ouvrir.
Le coffre contient 72 millions d'Anciens Francs de bons du Trésor dont certains connus comme ayant été achetés avec de faux billets par Chouvaloff. Malgré toutes ces preuves irréfutables l'officine n'est toujours pas localisée, toutes les pièces sont pourtant minutieusement visitées, combles, cave, garage ... même la fosse d'aisance, toujours rien. Puis comme dans les meilleurs films noirs après plus de huit heures de perquisition la chance enfin intervient. Un inspecteur fait tomber accidentellement un liquide sur le sol, le linoléum pourtant pas poreux "boit" instantanément ce liquide qui disparaît par la fente formée par un rajout du lino. Soulevant alors le revêtement de sol après avoir déplacé plusieurs appareils, l'inspecteur aperçoit une trappe dissimulée qui donne soit disant accès d'après le faussaire à une citerne de récupération d'eau de pluie. Actionnée par un bouton secret soigneusement dissimulé, un mécanisme astucieux en déclenche enfin l'ouverture. Tout est découver, le matériel nécessaire à la fabrication de fausse monnaie ainsi que de nombreuses coupures à peine ébauchées ou en fin de fabrication plus deux petites caisses contenant environ 30 millions d'Anciens Francs en faux billets. Bojarski qui jusqu'alors niait toute participation à quelque trafic que ce soit s'effondre en disant au commissaire Benhamou "vous avez gagné". Il reconnaît tout, de la fabrication à l'organisation dans le seul but d'améliorer son quotidien.
Dans ses aveux complets, il explique comment, pendant de nombreuses années, tel Jean Gabin incarnant un faussaire dans "le jardinier d'Argenteuil" faisant tous les marchands de muguet afin de leurs acheter un brin avec un gros billet, il avait parcouru la France en train, toujours la nuit, de Paris à Marseille ou à Lille, pour acheter, ici un stylo, là un paquet de cigarette ... afin de pouvoir écouler seul sa production avec beaucoup de précautions sans même jamais prendre une chambre d'hôtel. Mais un jour lassé par ces voyages, se pensant intouchable après autant de temps, il vend à un de ses amis un lot de billets 62,50 NF pièce en lui disant "mes billets sont aussi beaux que les vrais, je n'ai jamais eu d'ennuis" en lui recommandant expressément de continuer une mise en circulation homéopathique et de ne jamais donner plusieurs billets faux à la fois à un commerçant et surtout de n'acheter les bons du Trésor à la Poste qu'avec des billets authentiques. Quelques temps plus tard Dowgierd décide de faire profiter de cette manne son beau-frère Chouvaloff qui, plus pressé et moins prudent, commettra la faute fatale.


Bojarski lors d'une reconstitution


Pendant plus de douze ans Bojarski avait oeuvré seul dans la clandestinité, il paraissait impensable à l'époque qu'il ait pu à la fois fabriquer le papier, dans un mixer de cuisine qu'il avait adapté, en mixant des feuilles de papier à cigarette et du papier calque, faire la typographie sans recourir à la photographie à l'aide d'un appareil de son invention, faire la taille douce à l'aide d'une presse hydraulique qu'il avait en partie construite, sélectionner les couleurs avec des outils qu'il avait mis au point, réaliser l'impression des quatre couleurs et le numérotage grâce à une machine typographique de sa fabrication construite avec différentes pièces achetées ici ou là pour ne pas attirer l'attention, encoller le papier après l'impression avec un produit chimique de sa composition, vieillir les coupures en les mettant dans une machine à tambour et en insufflant du noir de fumée et autre terre de sienne, choses réputées jusqu'alors impossibles à réaliser par une seule personne.


Stock de faux billets en cours de séchage


Bojarski était conscient d'avoir réussi une chose extraordinaire, malgré toutes ses angoisses durant de nombreuses années et certainement beaucoup d'insomnies il avait fabriqué prêt de 300 millions d'anciens Francs de faux billets. Le commissaire Benhamou rapporte que les révélations pleines d'orgueil de cet ancien élève de l'institut polytechnique de Dantzig, ingénieur et petit inventeur méconnu, firent parfois penser à ses interlocuteurs qu'ils écoutaient la conférence d'un éminent professeur.
Le stock de 30 millions d'AF de faux billets retrouvé à été détruit et la Banque de France a récupéré plus de 150 millions d'AF en bons du Trésor et biens immobiliers. Bojarski fut condamné à 20 ans de prison, il eut une remise de peine pour bonne conduite et fut libéré après 13 années d'incarcération.
D'après les instances internationales concernées le phénomène Bojarski est probablement unique dans l'histoire du faux monnayage. Fait exceptionnel, la Banque de France a publié en Janvier 1964 un communiqué dans la presse annonçant que les porteurs de bonne foi, possédant ces faux billets pourront être remboursés, ceci afin de ne pas obliger le public à se préoccuper des caractéristiques difficilement décelables pour un néophyte, remboursement effectué jusqu'au 15 Octobre 1964 (après cette date, à titre exceptionnel, suivant des instructions du secrétaire général de l'époque). Cette contrefaçon est recherchée dans le monde entier par les collectionneurs qui en connaissent l'existence, comme un chef d'oeuvre du faux monnayage. On pouvait lire il y a trente ans dans la presse, "dans l'histoire de la fausse monnaie on dira un Bojarski comme on dit un Cézanne."

Comment reconnaître un "Bojarski "

Les billets présentent cinq défauts:

  1. il manque une branche à la première étoile orange située en haut à gauche
  2. filigrane plus large et légèrement flou
  3. les fleurs et fruits de la frise du haut sont hachurés moins finement
  4. la mèche de Bonaparte est plus fournie
  5. la feuille verte, au dessus du 1 de 100 NF est mal fermée
  6. le chiffre 100 NF est plus prés de la marge de 4/10 de millimètre

Il est très difficile de pouvoir les identifier par ces détails, seul le filigrane, de profil plus large que l'authentique, mal venu, est plus détectable.

Quelques dates sont mentionnées, ainsi que les numéros de série et d'alphabet, de billets apocryphes connus, renseignements que nous avons minutieusement répertoriés, depuis de nombreuses années. Les numéros mentionnés sont une infime partie de ceux employés par Bojarski, qui changeait sans cesse de numérotation, en fonction des fabrications de la Banque de France. Ces billets dits "Bojarski" sont très rares et recherchés, cette contrefaçon bien que célèbre, n'ayant eu en effet qu'un nombre restreint de coupures. 5870 billets avaient été décelés au 13 Août 1964 plus 785 billets découverts de cette date au 27 Octobre 1967.
Ces billets se négocient rarement, le nec plus ultra pour un collectionneur étant de posséder une paire de billets faux avec des numéros identiques (preuve irréfutable des coupures apocryphes). La paire de billets pouvant se négocier d'après les dernières transactions aux alentours de 10000 Francs en parfait état de conservation.

Ce cas très exceptionnel de contrefaçon a mythifié le faussaire et certes si un "Bojarski" peut être recherché par un collectionneur avisé il n'en demeure pas moins que même si ces billets ont "la couleur, la saveur etc ... du vrai" cela reste une affaire isolée et les faux billets en général à l'exception de quelques raretés recensées du XIXe siècle n'intéressent que très peu les collectionneurs.
J'affirme avec conviction que l'éthique d'une collection se définit par la détermination à la constituer avec des éléments authentiques et de qualité. Le vrai primera toujours le faux et le beau tendra toujours à élever le niveau des recherches.


Article paru dans la revue Numismatique & Change de septembre 1999.


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