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On a retrouvé les billets de la Banque générale
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Pascal Grèze, le 04/04/2005

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On les croyait perdus à jamais ! Voici les billets de 10 et de 50 écus de la Banque générale. Ces deux billets, signés Law, sont d'une rareté extrême (1). Ils sont à ce jour, les plus anciens billets de banque français… et les témoins d'une aventure hors du commun.


Billet de 10 écus conservé au musée Sainte-Croix de Poitiers

Le 8 juin 1716, le sieur Van Tongeren, directeur de la manufacture de papier d'Angoulême, donnait l'ordre de charger sur deux chariots quinze ballots de papier de banque pesant ensemble 8 650 livres. Le premier chariot emmenait sept balles de papier. Il était conduit par Antoine Levesque et tiré par quatre mules et deux chevaux. Le second chariot suivait et emmenait les huit autres balles. Le convoi devait livrer sa précieuse cargaison à la toute nouvelle Banque générale, rue Sainte-Avoye (2) à Paris, après un voyage de… vingt-deux jours ! Ils n'allèrent pourtant pas bien loin. En effet, le premier chariot s'engagea sur le pont du quartier Saint-Cybard à Angoulême, qui s'effondra et le chariot tomba tout entier dans… la Charente ! Le chariot était cassé et les animaux blessés. De plus, funeste présage, le papier de monsieur Law était tombé à l'eau !


Billet de 50 écus n°4967


Tout avait commençé, le 1er septembre 1715, à Versailles, lorsque disparaissait le Roi soleil dans l'indifférence quasi générale. Son successeur Louis XV, un enfant de cinq ans, trouvait un royaume ruiné par les guerres et les dépenses de la cour. Le déficit de l'État était couvert depuis des années, par l'emprunt et par des expédients : l'émission depuis 1701 de " Billets de Monoye ", sorte de billets du trésor, qui perdront jusqu'aux 4/5 de leur valeur nominale avait mis à mal le crédit de l'État, qui dans les derniers mois du règne ne trouvait à emprunter qu'aux banquiers d'Amsterdam. Ceux-ci ne consentent à prêter au " grand roi " qu'au taux usuraire de 400 % ! Le 2 septembre 1715, le parlement de Paris, confia la régence du royaume au duc Philippe d'Orléans, lequel constata " qu'il n'y avait pas le moindre fond dans le trésor royal ". Pour satisfaire aux dépenses les plus urgentes, il continua à emprunter et les " Billets de l'Estat (3) " firent leur apparition. Son Conseil lui proposait tout simplement de déclarer la banqueroute de l'État et de renier ses dettes (4). C'est alors qu'un sauveur apparut en la personne de John Law (5).


"Billet de l'Estat"


Né le 21 avril 1671, à Edimbourg, d'un père orfèvre et banquier, il connaissait bien le système bancaire, étant naturellement doué pour les chiffres. Son avenir semblait tout tracé, lorsqu'un " incident " va décider de son destin : le 9 avril 1694 à Londres, il tue un rival dans un duel ! Arrêté, il est jugé et condamné à mort. C'est alors qu'il s'évade de la Tour de Londres, et gagne le continent. Sa cavale durera vingt ans ! Visitant toute l'Europe (6), il devient joueur de cartes professionnel, spécule sur les changes, et étudiant les systèmes bancaires des pays qu'il traverse acquiert la certitude que le papier-monnaie doit remplacer l'or et l'argent. Sa réputation de joueur libertin n'est plus à faire, et c'est là, en 1701, dans un tripot parisien, qu'il rencontre Philippe d'Orléans. En 1705, il publie un essai " Money and Trade Considered ", Réflexions sur l'argent et le commerce, dans lequel il expose les avantages du papier-monnaie, pour développer le crédit et stimuler le commerce. Et c'est avec une fortune de 2 millions de livres, qu'en 1713, il s'installe à Paris. Il présente alors un Mémoire sur l'acquittement de la dette publique ainsi qu'un projet de Banque d'émission. Le duc, conquis par Law dès leur première rencontre, devait finalement faire appel à lui, et lui offrir la possibilité de mettre ses idées en pratique.

Par lettres patentes, le 2 mai 1716, la Banque générale fut fondée avec un capital de 6 millions de livres, divisé en 1 200 actions de 5 000 livres. Ce capital, au demeurant modeste, n'était libéré que du quart : soit 1,5 million de livres, dont seulement 375 000 livres avaient été versées en numéraire et le reste en billets d'État dévalorisés.
D'où les sourires et les ricanements des financiers de l'époque, qu'un tel établissement ne pouvait inquiéter. Un des actionnaires de la banque, le financier Paris-Duverney, ne décolère pas : " Je m'en suis mis parce que M. le duc d'Orléans m'a forcé la main. Mais ce n'est pas une affaire sérieuse ! Il prétend que le quart appelé lui suffit. Je ne vois pas M. Law remuer le monde, comme il le proclame. C'est un fou ! ". C'était oublier un peu vite le privilège d'émission accordé à la Banque, celui d'émettre des billets ! Libellés en " écus de banque " ils étaient payables au porteur à vue, en écus d'argent, du poids et du titre du jour de l'émission, et donc garantis contre les manipulations monétaires, fréquentes à l'époque. Ce qui assura finalement leur succès.
Le papier filigrané n'étant pas arrivé, Law dut se résoudre à faire imprimer ses premiers billets sur du papier ordinaire ! Le sceau (7) de la Banque ayant enfin été livré, le premier billet de banque français, celui portant le numéro 1, fut scellé, et John Law y apposa enfin sa signature ! Le soir même, de retour chez lui, il l'offrit en gage d'amour à sa femme Catherine ! " Elle regardait rêveuse ce petit papier blanc avec son texte gravé en noir, et dont depuis quinze ans, elle entendait parler matin et soir. Ainsi, il touchait le but qu'elle se désespérait de le voir jamais atteindre ". Aujourd'hui, si ce billet réapparaissait, sa valeur serait inestimable…

La banque ouvrit ses portes à la fin du mois de juin et elle mit en circulation ses premiers billets. Afin que le public garde sa confiance dans les billets, il y avait huit sécurités officielles, sans compter peut-être, des sécurités secrètes. Écoutons John Law lui-même, nous en donner la description :


1° - Il y a une manufacture particulière de papier pour les billets de la banque ; on est sûr de la fidélité de ceux qui ont la conduite de cette manufacture, et la qualité de ce papier fait la première sûreté.

2° - Chaque billet porte ces mots gravés en blanc, dans la substance même du papier : " billet de banque " ; seconde sûreté… On n'a pu avoir assez tôt ce papier particulier dans le commencement des opérations de la Banque. Les premiers billets faits en papier ordinaire n'en sont pas moins bons ni moins bien payés, mais à mesure qu'ils rentreront, on a résolu de les biffer afin qu'il y ait une parfaite uniformité dans les billets de la banque, et qu'ils aient tous les mêmes sûretés.

3° - L'écriture est gravée, ainsi que les traits de contrôle, par les plus habiles graveurs de Paris. La somme y est marquée deux fois tout au long et il est impossible d'altérer cette sûreté.

4° - Les caractères de la gravure des différents billets (8) sont aussi très sensiblement différents… Le paysan le plus grossier, et qui même ne saurait pas lire, ne pourrait se tromper…

5° - Il y a trois signatures (9). La première du directeur, la seconde de l'inspecteur et la troisième du sous-directeur.

6° - Les billets sont numérotés et datés par des commis dont on connaît l'écriture et le chiffre… Sixième sûreté.

7° - On scelle tous les billets de la banque. Le sceau, les matrices, les poinçons, les dés et les balanciers sont enfermés dans la caisse générale (10). Septième sûreté.

8° - Enfin ces billets sont coupés sur des registres doublement numérotés. Il y a des vignettes de haut en bas qu'on coupe au hasard ; ces vignettes sont formées d'un grand nombre de traits qui sont différents. Ces traits coupés au hasard, reste la moitié sur le registre qu'on garde à la Banque pour y avoir recours en cas qu'il soit nécessaire de vérifier. On garde aussi ces registres pour biffer les billets qui rentrent endossés et acquittés. L'autre moitié des traits reste à côté du billet ; c'est ce qu'on appelle contrôle. Cette huitième sûreté est si grande qu'elle suffit seule pour mettre absolument les billets de la banque à couvert de tout soupçon et falsification.


Ainsi John Law croyait mettre ses billets à l'abri des contrefaçons, ce qui par rapport aux billets d'État, imprimés à la hâte et facilement falsifiables, constituait un réel progrès. La Banque de France lors de sa création en 1800, ne fera pas mieux. Elle reprendra pour ses billets les mêmes sûretés.
Objet de moqueries au tout début, la Banque générale vit son crédit progresser rapidement. En quelques semaines tout le monde voulut avoir des billets ou son compte à la banque. Elle fournissait des services bancaires de qualité (11) et bon marché. Le bon papier n'étant jamais pris à moins de 30 %, Law descendit son taux d'escompte à 4 % et fit cesser l'usure. Le commerce reprit son essor, au détriment des usuriers qui fermèrent boutiques.
En réaction, le 12 août 1718, le Parlement de Paris prit un arrêt interdisant aux étrangers, même naturalisés, de participer à la gestion des finances publiques. Ce qui pour Law équivalait à une sentence de mort ! L'Écossais, qui continuait de présider la Banque, avait reçu des lettres de naturalisation. De ce fait, il risquait à tout moment d'être arrêté, jugé et pendu dans la cour même du Parlement ! Pour échapper à un procès expéditif, le régent le cacha pendant plusieurs jours au palais royal, le seul endroit où on ne pouvait l'arrêter. Le temps de faire casser l'arrêt du Parlement, par son Conseil...
En un peu plus de deux ans, la banque émit pour 148,5 millions de livres de billets, tout en conservant une encaisse métallique suffisante, d'environ 50 millions. A aucun moment les porteurs n'éprouvèrent une quelconque inquiétude. Saint-Simon écrira plus tard : " Si on se fût contenté de la Banque, on aurait doublé tout l'argent du royaume, et porté une facilité infinie à son commerce et à celui des particuliers... ".

Le 4 décembre 1718, le régent royalisa (nationalisa), la Banque qui devint royale. John Law se trouvait désormais à l'abri des manœuvres du Parlement. Cependant, cette décision fut prise par le pouvoir pour une toute autre raison. La guerre avec l'Espagne étant imminente, le régent comptait financer les dépenses de guerre par la Banque, désormais toute entière aux mains du gouvernement. Le 9 janvier 1719, le roi de France déclara la guerre à l'Espagne. Le sort de la Banque était scellé.

Pascal Grèze


Article paru dans la revue Numismatique & Change N°349 de mai 2003.

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