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500 Francs Sciences et Philosophie (non émis)
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Alain Dailly, le 20/03/2005

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Lors de la vente de la collection François Delamare, à Drouot-Richelieu, le 20 juin 2000, un important dossier comprenant 52 pièces sur un billet de 500 francs a été mis aux enchères. Ce billet, improprement baptisé " Au Chou ", est l'œuvre du peintre Émile Friant. Cet artiste, qui a accumulé de nombreuses récompenses et distinctions, n'est pas un inconnu pour les amateurs de peinture.

Né en 1863 à Dieuze dans la Moselle, Émile Friant entre à l'École des Beaux-Arts dans l'atelier de Cabanel. Précoce, il obtient à 19 ans une mention honorable au Salon des Artistes français. L'année suivante, le second Prix de Rome lui est attribué. Plusieurs années de suite, il reçoit des médailles dans les différents salons où il expose. Une bourse de voyage gagnée en 1886, lui permet de visiter de nombreux pays : la Hollande, l'Italie, Malte et Tunis. En 1889, les récompenses se succèdent (Prix du Salon et Médaille d'or à l'Exposition Universelle de Paris) et lui valent la Légion d'Honneur ; il n'a que 26 ans. Une seconde médaille d'or à l'Exposition Universelle de 1900 lui permet d'obtenir le grade d'Officier dans l'ordre de la Légion d'Honneur. Nommé Commandeur en 1931, cette distinction couronne un artiste au sommet de son art, membre de l'Institut depuis 1923. La légèreté des traits, la finesse des expressions, ses compositions remarquablement étudiées, transmettent une émotion communicative. Ce portraitiste de talent a aussi décoré l'Hôtel de la ville de Nancy ainsi que le plafond du salon de la Préfecture de Meurthe-et-Moselle. On peut aussi signaler qu'il a collaboré, dans sa jeunesse, à la décoration des meubles de Majorelle. De très nombreux tableaux ont été acquis par l'État et les musées exposent une foultitude de ses œuvres.

Cet artiste exceptionnel est approché, par la Banque de France pour la réalisation d'une coupure de 500 francs (1). Après avoir pris connaissance des caractéristiques techniques, Émile Friant commence ses études. Présentées au Conseil Général de la Banque, ses peintures pour un billet de 500 francs sont adoptées en 1923.


500 Francs Sciences et Philosophie - maquette finale du recto


Elles représentent au recto, un ensemble décoratif constitué par un cadre de feuillages et de fruits stylisés et un fond composé d'un semis de monogramme B.F. rehaussé d'ornements floraux. Sur cet ensemble se détachent deux personnages allégoriques : à gauche, une femme représentant la Science, à droite une femme symbolisant la Philosophie. En haut et au centre un écusson renferme la valeur du billet en chiffres, en bas, également au centre, un cartouche destiné à contenir le texte de l'article 139 du Code Pénal.


500 Francs Sciences et Philosophie - maquette finale du verso


Au verso, une grande figure allégorique représentant la France, tient dans une main un flambeau et de l'autre un rameau d'olivier. Elle se détache sur un fond de mer, avec au premier plan, une rade et un port, le tout étant encadré de guirlandes de vigne et de laurier fleuries de roses. De chaque côté, aux pieds de la femme, un cartouche contient la valeur en chiffres du billet. Dans les angles, deux bas-reliefs symbolisent l'un l'agriculture, l'autre la fécondité.
Mais la réalisation définitive de ce projet va se heurter à de nombreuses difficultés. Pendant des années, le peintre et la Banque de France vont discuter des honoraires. Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour parachever le billet. Deux dessins de filigranes sont demandés. L'artiste demande alors à la Banque de lui payer les esquisses puis, après approbation des modèles, les peintures. Mais les turpitudes de ce billet ne font que commencer. L'artiste, réputé pour "la finesse de l'exécution et la robustesse du modelé", exige un travail colossal de la part du graveur qui doit respecter à la lettre ses consignes. C'est Camille Beltrand, qui est chargé d'interpréter l'œuvre du peintre. A partir de 1925, le graveur va travailler sur ce billet. La mésentente entre les deux artistes ne permet pas un avancement rapide du projet. Émile Friant conteste la réalisation des têtes de femmes au recto, déclarant qu'il fallait absolument la mener à bien, car c'était surtout sur ce point que le billet serait jugé. Il signale d'ailleurs que si on l'a choisi, "c'était dans l'attention d'obtenir de jolis visages de femmes qui fussent en même temps de véritables portraits".


Esquisses


En 1930, Émile Friant pense que le graveur, "loin de mettre son honneur de graveur de reproduction à mériter l'approbation de l'auteur du modèle, refuserait de travailler désormais avec moi". Beltrand n'a effectivement qu'une idée : "abandonner son travail, pour lequel il a passé beaucoup plus de temps qu'il n'avait prévu, le manque de précision dans l'œuvre de l'artiste peintre rendant extrêmement difficile l'interprétation de l'œuvre".
Un autre sujet de mécontentement intervient alors : l'absence de signature du billet par les artistes (2). Ulcéré, Émile Friant relate alors la conversation qu'il avait eue avec les représentants de la Banque en 1921. Ils lui avaient présenté ce travail comme étant un aboutissement : "vous signerez le billet, vous bénéficierez donc d'une publicité mondiale, et qu'il y en aura bien pour cinquante ans" avaient-ils ajouté.


Dessin final


Émile Friant maintient son droit d'artiste de signer son œuvre et de ne pas consentir à sa mise en circulation sans qu'il en ait donné le bon à tirer. Il ajoute qu'il n'est "pas un fabricant d'étiquettes commerciales, mais un artiste connu, ne produisant que des œuvres dont je réponds de la qualité en les signant, et qui doivent ainsi contribuer à ma renommée". Il estime d'ailleurs que "l'intérêt de la Banque de France se confond avec le mien et je ne parviens pas à m'expliquer pourquoi elle veut livrer aux critiques du public un billet qui n'est pas mis au point".
Émile Friant fait alors intervenir Raymond Poincaré, ancien Président de la République, qui écrit au Gouverneur de la Banque de France le 1er novembre 1930, se permettant d'attirer sur cette affaire sa bienveillante attention, considérant que Monsieur Friant est un de nos grands dessinateurs et qu'il lui "paraîtrait fâcheux pour la Banque elle-même qu'on mît en circulation un billet composé par lui et gravé contrairement à ses indications".
Le 24 juin 1931, soit dix ans après les premières esquisses, Émile Friant, après avoir consulté son avocat, spécialiste en matière de propriétés artistiques, prend le parti de ne pas toucher à la gravure de Camille Beltrand. Prévue pour un billet de 500 F, la vignette sera ultérieurement transformée en 1 000 F réserve.
Émile Friant décède en 1932, sans se douter que son œuvre fiduciaire ne garnira pas le portefeuille de ses concitoyens. Ce splendide billet sera heureusement sauvé de l'oubli par des collectionneurs éclairés.

Alain Dailly

Article paru dans la revue Numismatique & Change N°328 de juin 2002.

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